Manifeste
Le manifeste comprend quatre exigences et les messages clés qui leur sont associés. Ces affirmations émanent d’un savoir étendu et collectif résultant lui-même d’une expertise pratique étendue. L’argumentaire des différents messages clés est accessible sous forme de développement.
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Nous contribuons, tous et toutes ensemble, aux transformations nécessaires à un avenir durable.
1.1 Les crises que vit le monde actuel exigent de nous des changements profonds et des actions compétentes.
Les grandes crises écologiques, sociales et économiques (changement climatique, effondrement de la biodiversité, pauvreté, migrations, pandémies, guerres, etc.) nous obligent à réagir de manière appropriée et à construire notre avenir en prenant en compte le développement durable. Toute poursuite du développement actuel se révèle être une impasse. Par ailleurs, un avenir durable exige de nous des adaptations immenses et des actions compétentes. Cela signifie que des processus de transformation sociaux et écologiques devront être mis en œuvre à la fois au plan local et global (Dixson-Declève et al., 2022)
1.2 Ce processus nécessite une formation en vue d’un développement durable pour tous et toutes, à tous les niveaux de formation et tout au long de la vie.
Lorsqu’on parle de capacités d’adaptation, il s’agit de processus d’apprentissage et de changements radicaux de nos manières de penser et d’agir, en l’occurrence d’apprentissage transformatif. Tous les domaines de la vie qui déclenchent, accompagnent et dirigent des apprentissages sont concernés, ce qui nécessite une collaboration de tous et toutes les acteurs-trices qui se tournent consciemment vers le développement durable.
C’est pourquoi l’éducation en vue d’un développement durable (EDD) est indispensable ; ce concept d’éducation et de formation favorise de manière globale les processus d’apprentissage transformatif au niveau individuel, sociétal et organisationnel (UNESCO, 2020 : #ESDfor2030; UNESCO, 2021 : Déclaration de Berlin). Cette éducation doit être accessible à tous et toutes, dans toutes les phases de la vie et tout au long de la vie.
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Les mesures cosmétiques ne suffiront pas : nous sommes ouvert-e-s aux changements radicaux de nos modes de pensée, de perception et d’action, collectivement et individuellement.
2.1 Pour que l’avenir soit durable, nous devons remettre radicalement en question nos certitudes et nos valeurs.
Nos actions et notre façon de penser dépendent de nos habitudes et de nos convictions. Sous celles-ci se cachent souvent des causes et des croyances, des valeurs et des normes non exprimées ou inconscientes ainsi que notre perception de notre rapport au monde. « Nous apprenons et intégrons un positionnement face au monde, une posture pratique qui dépasse largement notre vision du monde consciente, nos croyances et nos convictions conscientes sur ce qui existe dans le monde, sur ce qui est important. » (Rosa, 2019, S. 10). Nous devons, en tant que société, prendre conscience de ces mécanismes de fonctionnement sous-jacents et largement inconscients afin d’assumer notre responsabilité et d’initier des changements.
Nos principes et nos croyances, nos valeurs et nos normes ainsi que notre perception de nous-mêmes et nos attitudes s’assemblent dans des perspectives signifiantes (Mezirow, 1997). Ces dernières prennent racine dans notre expérience biographique et nos savoirs et sont apprises sur une base sociale. Elles ont « … trois fonctions : elles agissent 1. en guidant la perception pour l’interprétation de la réalité, 2. en orientant l’action individuelle et enfin 3. elles sont une marque d’identité de l’individu » (Singer-Brodowski, 2016, p. 15). Les perspectives signifiantes sont comme des lunettes à travers lesquelles nous contemplons et évaluons le monde. Ces lunettes nous aident à classer nos expériences et à prendre des décisions. D’une part, les perspectives signifiantes sont importantes car elles nous permettent de fonctionner et d’agir dans le monde. D’autre part, elles stabilisent les actions non durables menées jusque-là et, en raison de leurs fonctions importantes, ne peuvent être abandonnées telles quelles.
En même temps, les perspectives signifiantes ne concernent pas que l’individu : elles agissent parce qu'elles sont partagées collectivement et qu'elles nous donnent un sens en tant que communauté. C'est pourquoi, pour agir de manière plus durable, nous devons les remettre radicalement en question, individuellement et collectivement, et les modifier si nécessaire.
2.2 La transformation est synonyme de changement de système et non de stabilisation du système.
Que signifie réellement « transformation » ? C’est un changement fondamental, irréversible et auto-organisé d'un système complexe, comme le sont les écosystèmes, les systèmes économiques ou notre société (Reißig, 2014), ainsi que des perspectives signifiantes individuelles ou collectives qui leur sont associées (Mezirow, 1997). En fin de compte, les acteurs-trices sont toujours des individus impliqués dans des interactions au sein des différents systèmes. La transformation n'est donc pas une mesure cosmétique au sens d'une adaptation et donc d'une stabilisation d'un système ; il ne s'agit pas non plus d'un changement facilement contrôlable.
Dans un contexte de développement durable, on parle cependant d'une transformation qui devra être pilotée, en ce sens qu’elle s'oriente vers un modèle normatif de durabilité et qu’elle tend activement vers ce modèle. Cette orientation est une vision holistique ancrée dans une vision du monde basée sur la théorie des systèmes et la reconnaissance du fait que l'homme et la nature sont liés : le bien-être de l’individu dépend du bien-être de tous et de toutes. Le vivant et l'inanimé ont également une valeur intrinsèque et doivent être respectés par tous les êtres humains (Lange 2012, Wahl 2016). C’est ainsi que nous quittons une vision anthropocentrique du monde. A ce jour, les modes d'action de la majeure partie de l'humanité sont très éloignés de cette vision.
2.3 Un avenir durable n’est pas compatible avec le paradigme de croissance néolibéral.
Dans le modèle économique global néo-libéral actuel, avec son paradigme de croissance et sa conception individualiste et libérale de la liberté, la relation entre l'homme et la nature est principalement anthropocentrique. Cela conduit l'homme à se considérer comme séparé du monde et, par conséquent, à s'instrumentaliser et à contrôler le monde (dans le sens du capital humain et environnemental) afin de satisfaire ses propres besoins. Dans cette vision capitaliste du monde, les ressources naturelles doivent fournir des matières premières à l'homme et l'homme doit en obtenir l’accès grâce à son travail. Les hommes sont également instrumentalisés et les besoins sont sans cesse renouvelés afin de maintenir la croissance économique. Ce processus est soutenu par la croyance que les ressources sont disponibles à l'infini : si une ressource vient à manquer, elle sera remplacée par une autre. Cependant, « il est de plus en plus reconnu que le choix de la voie de la croissance des sociétés occidentales est un obstacle à la réalisation des objectifs mondiaux de durabilité et à la promotion de la justice mondiale » (Getzin & Singer-Brodowski, 2016, p. 33).
En se considérant comme l’ordonnateur du monde, en soumettant celui-ci et en s’imaginant que la disponibilité de la nature n'est soumise à aucune limite, l'homme perd sa connexion avec la nature et met ainsi sa propre existence en danger. En d'autres termes, nous devons changer notre vision du monde et notre compréhension de nous-mêmes et nous considérer à nouveau comme faisant partie du monde, reconnaître les limites planétaires, respecter les droits de l'homme et prendre en compte la valeur intrinsèque du vivant et du non-vivant (Balsiger et al., 2017). Il est donc nécessaire d’inventer des contre-projets transformatifs à ce paradigme de croissance, qui s'orientent par exemple vers la suffisance, les interactions et relations ou le bien commun.
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Nous nous engageons pour des processus d'apprentissage transformatifs dans tous les domaines de la société.
3.1 L’apprentissage transformatif nous permet de modifier nos certitudes et nos valeurs.
Au lieu de réagir de manière réactive aux situations problématiques et de tenter de corriger les évolutions non durables en aval, il est judicieux d'affronter les défis de manière proactive grâce à des processus de recherche communs et d'engager une transformation concrète et souhaitée. Sommer & Welzer (2017) ont inventé à ce sujet la formule "transformation by design or by disaster". Nous préférons clairement "transformation by design". Une telle approche anticipative, créative et collaborative des situations problématiques doit être apprise, notamment par les personnes impliquées dans le système éducatif. Seul un apprentissage transformatif pour un avenir durable permet de provoquer des changements profonds dans les perspectives signifiantes individuelles et collectives et, par conséquent, dans notre façon de penser, de ressentir et d'agir.
L'apprentissage transformatif modifie à la fois notre compréhension de nous-mêmes et notre relation au monde. Selon Mezirow, deux éléments sont en effet centraux dans le processus d'apprentissage transformatif : (1) la (auto)réflexion critique sur les hypothèses de base ou les perspectives signifiantes d’autrui ou de soi-même (Mezirow 2012, p. 85), ainsi que (2) le dialogue critique et non violent au sein d'un collectif, afin de rendre explicites les hypothèses implicites et de les évaluer quant à leur fonctionnalité ou à leur pertinence, dans l’interprétation et le sens au sein d’une situation concrète (Mezirow 2012, p. 78 et suivantes).
Dans le processus d'apprentissage transformatif, il est important de pouvoir expérimenter, c'est-à-dire d'explorer de nouvelles perspectives signifiantes et d'essayer ou même de s'entraîner à de nouvelles manières de penser, de ressentir et d'agir, dans la ligne droite des processus de prise de conscience et de recherche mentionnés ci-dessus. L'apprentissage transformatif n'est pas une incitation à court terme, surtout lorsqu'il s'agit de s'attaquer collectivement et dans tous les domaines de la société aux causes d'un développement non durable, au lieu de lutter contre ses symptômes.
3.2 Les aspects sociétaux et individuels sont indissociables dans l’apprentissage transformatif.
Chez l’individu, l'apprentissage transformatif se produit toujours en relation avec son contexte social (Cranton & Taylor, 2012, p. 5 et suivantes). Une vision constructiviste du monde part du principe que nous construisons nous-mêmes la signification du monde, en nous fondant aussi bien sur notre expérience que sur nos interactions avec les autres et leur interprétation. Pour ce faire, nous nous inspirons de notre environnement social et de notre culture (Mezirow, 2012). Souvent, nous intégrons également sans y réfléchir des préjugés et des stéréotypes dans notre répertoire, ce qui peut avoir un effet dysfonctionnel ou d'exclusion. A l’inverse, cela signifie qu'un individu qui modifie et partage ses perspectives signifiantes peut contribuer à modifier les perspectives signifiantes d'un collectif (Arnold & Perscher 2017).
Le fait que l'apprentissage transformatif se déroule à la fois au niveau personnel et social est très bénéfique pour la voie vers le développement durable. En effet, l'expérience de l'apprentissage transformatif est renforcée par le sentiment de résonance. Résonance et transformation sont des aspects imbriqués d’un même processus. D’après Rosa (2019, p. 38 et suivantes), quatre moments sont pertinents : 1) lors de nos échanges avec les personnes et la nature, nous sommes touchés (« affectés ») ; 2) nous pouvons y répondre et ressentons alors une efficacité personnelle (nous pouvons réagir si nous le voulons) ; 3) dans la rencontre, nous pouvons nous transformer (moment de l’appropriation). Rosa souligne en outre que la résonance 4) est « indisponible », elle ne peut pas être produite de manière instrumentale, elle est donc soumise à l'auto-organisation. Cet aspect de l'indisponibilité est également central pour Wüthrich (2020, p. 104-105) : « Lorsque j'entre en résonance, je n'ai aucune idée de ce qui en résultera. Je m'engage dans quelque chose et je ne sais pas quel sera le résultat du processus de résonance. Je me rends vulnérable. (...) Je suis à l'écoute des tonalités, des vibrations et des différences constructives ».
Les débats collectifs impliquent donc une ouverture et un respect de perspectives multiples et de formes diverses de connaissances. Il s'agit donc non seulement de promouvoir des processus de transformation à petite échelle, mais aussi au sein de groupes plus importants ou de la société. La prise en compte de perspectives nombreuses et hétérogènes est un avantage lors des processus de transformation sociale, car elle permet de créer la stimulation nécessaire à la recherche commune de nouvelles perspectives signifiantes, de manières de penser, de ressentir et d'agir ainsi que d’options nouvelles.
3.3 Abandonner nos certitudes et nos valeurs signifie sortir de notre zone de confort. Il faut être prêt à apprendre et à désapprendre.
Il faut être prêt pour aborder l'apprentissage transformatif ; être capable de quitter la zone de confort de ses certitudes. Le désapprentissage conscient – c'est-à-dire l'abandon de ses perspectives signifiantes éprouvées – va de pair avec l'apprentissage d'une nouvelle façon de penser, de ressentir et d'agir ainsi qu'avec un changement de notre rapport au monde. Si l'on veut organiser soi-même de tels processus de transformation, on est plutôt motivé ; imposés de l'extérieur, ces processus sont susceptibles de déclencher une résistance. Les processus d'apprentissage transformatifs nécessaires pour les transformations sociales sont en effet exigeants et pas toujours attrayants dans leur mise en œuvre : selon les facteurs personnels et contextuels, ils peuvent déclencher des peurs et du stress et provoquer une agitation sociale ou une désorientation. Mais ils peuvent aussi susciter des moments de grande créativité et de réflexivité (Förster et al. 2019, p. 325) et engendrer des moments de relations plus justes entre les individus.
L'apprentissage transformatif déclenche généralement un sentiment d’irritation, des expériences d'incohérence, de désorientation ou même des crises : ce que nous considérions comme fiable jusqu'à présent, comme nos valeurs ou nos hypothèses de base, n'est plus valable. Nos actions ne sont plus fonctionnelles et nous ne trouvons plus de solution aux problèmes en suspens. Le stress limite fortement notre capacité à critiquer, à apprendre et à dialoguer ; lorsque nous sommes en mode stressé, des schémas de fonctionnement automatiques prennent le dessus sur nos pensées, nos sentiments et nos actions afin que nous puissions sortir de la situation le plus rapidement possible. La réflexion critique nécessaire au processus d'apprentissage transformatif, notre créativité, notre capacité à établir un contact social constructif, par exemple à dialoguer et à entrer en résonance, et notre capacité d'apprentissage, sont ainsi limitées. De plus, lorsque les perspectives signifiantes qui nous ont orienté jusqu'à présent sont remises en question, l'appartenance à un groupe qui représente ces perspectives signifiantes est également en jeu, par exemple lorsque la remise en question de notre comportement de consommation se heurte à la résistance et à l'incompréhension de notre propre cercle d'amis.
Les apprenant-e-s engagé-e-s dans un processus d’apprentissage transformatif ont besoin, d'une part, de compétences permettant de réguler des états cognitivement et émotionnellement difficiles ou stressants provoqués par l'incertitude, l'ambiguïté, les contradictions, les tensions, la complexité et les expériences d'incohérence. Cela implique une ouverture à l'apprentissage tout au long de la vie et la volonté de participer et de contribuer à une vision d'avenir. D'autre part, il faut des environnements d'apprentissage sûrs ("safe enough spaces") qui permettent des relations constructives et une entrée en résonance avec soi-même et avec d'autres personnes, des êtres vivants ou notre environnement (Förster et al. 2019, Singer-Brodowski et al. 2022). Dans de tels environnements d'apprentissage sécurisés, un dialogue critique et non violent peut avoir lieu ; il ne s'agit alors pas d'avoir raison mais d'écouter les autres et soi-même. Comme le suggèrent Singer-Brodowski et al. (2022, p. 7), ce dialogue prend de préférence la forme de « conversations édifiantes » (edifying conversations), qui se déroulent sur un pied d'égalité et autorisent différentes perspectives et options d'action.
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Nous devons concevoir consciemment et habilement les environnements et les processus pour un apprentissage transformatif.
4.1 L'apprentissage transformatif nécessite une conception d’enseignement qui renonce à la transmission pour aller vers la facilitation.
L'apprentissage transformatif se base sur une vision humaniste et émancipatrice de l'être humain et sur une conception systémique du monde. L'éducation qui veut faciliter l'apprentissage transformatif exige donc une compréhension systémique et constructiviste de l'enseignement : au lieu de transmettre exclusivement des connaissances, il s'agit aussi de développer les compétences permettant de nous transformer nous-mêmes et les systèmes dans lesquels nous évoluons). Seule une didactique facilitatrice, qui renforce et soutient les apprenant-e-s dans leur processus de recherche et d'apprentissage et qui tient compte du besoin d'efficacité personnelle, d'autonomie et d'intégration sociale peut y parvenir. (Arnold, 2012).
Cette conception d'enseignement nécessite de traiter les interactions entre perspectives significatives, pensée, sentiments et action. Il s'agit en particulier d'encourager et de préserver l'autonomie, la responsabilité personnelle et la compétence d'action dans le sens d'une approche émancipatrice (de empowerment). Ainsi, les processus d'apprentissage transformatif deviennent également politiques. Le risque que les processus d'apprentissage soient instrumentalisés à des fins politiques précises peut toutefois être désamorcé grâce à la prise en compte du « Consensus de Beutelsbach ». Ce consensus comporte trois éléments : pas d'endoctrinement (interdiction de se sentir submergé), respect des postures sujettes à controverse, liberté de se forger une opinion et protection de la position personnelle des apprenant-e-s. Bien que le modèle de développement durable poursuive un objectif normatif, il convient de rester attentif à ce que l'apprentissage transformatif ne devienne pas un outil permettant d’imposer des intérêts politiques spécifiques, mais qu’il reste une confrontation ouverte permettant d’apprendre sur l’avenir, avec les défis complexes de notre époque.
Les enseignant-e-s et formateurs-trices doivent réfléchir de manière critique à leur attitude et à leurs actions, créer des relations de confiance et être prêt-e-s à guider et à accompagner les apprenant-e-s dans un processus d'apprentissage exigeant sur le plan émotionnel et individuel, tout en préservant leur autonomie et leur responsabilité personnelle. Ainsi, dans les phases de doute, une culture constructive de l'erreur et une attitude d'expérimentation sont particulièrement utiles.
4.2 L’apprentissage transformatif nécessite des compétences d’enseignement spécifiques et une formation continue appropriée.
Pour que l’apprentissage transformatif puisse se mettre en place, les enseignant-e-s et formateurs-trices doivent opter délibérément pour cette approche didactique. Ils orientent leurs objectifs d'apprentissage, leurs activités pédagogiques et (si nécessaire) leur évaluation en conséquence. L'enseignement n'est pas basé sur la différence entre celui qui sait et celui qui ne sait pas, mais sur l'attitude des facilitateurs-trices qui créent des environnements d'apprentissage favorables à un apprentissage auto-dirigé. Cela nécessite une approche didactique dans laquelle les enseignant-e-s et formateurs-trices doivent également se considérer comme des apprenant-e-s. La gestion consciente des attentes liées aux rôles – d'une part, enseignant-e/apprenant-e, d'autre part, accompagnement de l'apprentissage, passage d'examens ou représentation d'une discipline (Thomann, 2019) – est exigeante et devrait être thématisée, testée activement et réfléchie dans la formation initiale et continue.
Le besoin de formation continue pour les enseignant-e-s et formateurs-trices concerne, d'une part, la compréhension de base du développement durable en tant que défi systémique et normatif et, d'autre part, la compréhension de l'apprentissage transformatif en tant que processus. De telles formations continues permettent de développer et de s'approprier une pratique didactique dans des situations de formation concrètes. Outre l'acquisition de compétences techniques et méthodologiques didactiques pour préparer, réaliser et évaluer des cours, ainsi que le développement de compétences sociales et personnelles, les enseignant-e-s et formateurs-trices de l'apprentissage transformatif doivent également se pencher sur leurs propres valeurs et normes et les rendre explicites pour les apprenant-e-s (Biester & Mehlmann, 2020, p. 11).
Les formations continues pour les enseignant-e-s et formateurs-trices qui souhaitent promouvoir l'apprentissage transformatif en vue d’un développement durable sont peu nombreuses sous cette forme. Des exemples d'activités d'apprentissage pour le personnel de formation initiale et continue, qui permettent un apprentissage transformatif et pourraient être appliquées dans les formations continues, se trouvent par exemple dans des cadres transdisciplinaires basés sur des projets et des expériences et liés à la nature ou au corps (p. ex. Biester & Mehlmann, 2020). Il est urgent de continuer à développer une telle offre sur la base des expériences et des recherches existantes et de la rendre largement accessible. Enfin, en plus de l'offre de formation continue, il est nécessaire de mener une réflexion approfondie et à grande échelle sur l’intégration des processus d'apprentissage transformatif en vue d’un développement durable dans les programmes d’études et les institutions (Wilhelm et al. 2019).
4.3 Pour que les apprenant-e-s puissent quitter leur zone de confort, il leur faut un environnement d’apprentissage sécurisé.
Pour que nous puissions nous engager dans des processus d'apprentissage transformatifs et sortir de notre zone de confort malgré les phases d'ignorance, d'incertitude, de désorientation ou d'ambiguïté et apprendre individuellement et collectivement, nous devons nous sentir suffisamment en sécurité. C'est également essentiel pour ne pas laisser le champ libre aux réactions de stress automatisées. Pour ce faire, nous avons besoin d'environnements d'apprentissage sécurisés, appelés "safe enough spaces" (Singer-Brodowski et al., 2022).
Afin de se sentir suffisamment en sécurité dans le processus d'apprentissage transformatif, il est nécessaire de trouver un équilibre entre les ressources – telles que les connaissances, l'expérience, les capacités et les compétences personnelles, par exemple la résilience, ainsi que suffisamment de temps et d'argent – et les défis. Cela vaut aussi bien pour les apprenant-e-s que pour les enseignant-e-s / formateurs-trices. Le soutien social est particulièrement important dans des relations et des interactions basées sur la confiance et l'estime. Les personnes impliquées doivent respecter l'autonomie de chacun et chacune, avoir confiance en leur efficacité personnelle et en leurs ressources, et satisfaire leur besoin d'être socialement impliqué. En tant qu'apprenant-e-s et pour pouvoir relever les défis, nous devons donc avoir confiance dans le processus, dans l'enseignant-e / formateur-trice et dans les autres apprenant-e-s, ainsi qu'en nous-mêmes. C'est notamment le cas lorsque les ressources et les défis sont subjectivement équilibrés pour nous. Il faut toutefois garder à l'esprit que tout processus d'apprentissage, y compris le processus d'apprentissage transformatif, implique une stimulation constante de l'équilibre. Si les ressources sont trop faibles, nous nous sentons dépassés par les défis et réagissons par des niveaux élevés de stress ou d'anxiété ; si les défis sont subjectivement banals, nous nous ennuyons.
4.4 L’objectif de la didactique transformative est de renforcer l’auto-organisation individuelle et collective.
La didactique transformative en vue d’un développement durable doit explicitement créer des occasions d'expérimenter, c'est-à-dire d'agir, dans les environnements d'apprentissage. Cela permet de consolider, d'expérimenter et d'appliquer les connaissances acquises. Apprendre signifie faire soi-même et agir avec auto-efficacité : les apprenant-e-s doivent pouvoir développer leurs compétences et les exprimer dans la performance. Ils découvrent ainsi qu’ils sont eux- et elles-mêmes responsables de leur apprentissage et de leurs actions. En outre, ils/elles font l'expérience de l'auto-efficacité en communauté avec leurs co-apprenant-e-s et dans un contexte dans lequel ils/elles se sentent souvent impuissant-e-s ("éco-anxiété") ; ils/elles s’aperçoivent qu'ils/elles peuvent ainsi apporter des changements positifs individuellement et collectivement. Les formats didactiques adaptés à ce contexte sont par exemple des exemples de situations transdisciplinaires, des laboratoires du réel ou des projets d'apprentissage par le service. Cependant, ce sont des formats qui mettent au défi les croyances de nombreux établissements d'enseignement et les obligent à se transformer : les acteurs et actrices concerné-e-s sont incité-e-s à réfléchir à la manière d’aborder l'objectif de formation, c’est-à-dire la capacité d'auto-organisation et l'orientation vers l'action. C’est pour eux et elles un changement de paradigme, étant donné qu'ils / qu’elles étaient jusqu'à présent en grande partie axé-e-s sur la transmission de contenus.
Alors, comment rendre visibles et mesurables les résultats d'apprentissage d'un processus de formation orienté vers l'action ? Cette idée de mesurabilité dans l'apprentissage transformatif doit tout d'abord être remise en question de manière critique. La description de l'impact ne dépend pas seulement d'objectifs d'apprentissage prédéfinis, mais aussi, et surtout, de la nouveauté qui résulte essentiellement du processus d'apprentissage auto-organisé et orienté sur les compétences et la performance. L'acte de réflexion et de vérification est donc en lui-même une partie centrale de l'apprentissage transformatif (Earl & Katz, 2006). Les enseignant-e-s et formateurs-trices doivent accorder plus d’attention à ces processus d'évaluation formative. La question de l’évaluation des performances est donc une tâche complexe qui nécessite une solide compréhension des contextes institutionnels ainsi qu'une approche créative (Wilhelm et al., 2019). Et cela fait également partie des formations continues exigées pour les formateurs et formatrices qui enseignent de manière transformative.
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